Plume du Lion - Charline et Mia

C'est l'histoire de la relation de deux jeunes filles ; Charline et Mia. Elles se rencontrent en enfantine. Charline est gentille avec Mia mais, cette dernière ne le lui rend pas. Elles se croisent des années après et Charline se retrouve, un peu malgré elle, à aider Mia. Elles vont alors devenir amies. Cependant, leur relation continuera d’évoluer pour le meilleur comme le pire…

Charline était attablée depuis une heure déjà. Il faut dire qu'avec le stress, elle s'était peut être un poil trop dépêchée. Son troisième café devenait froid et elle ne résisterait pas  longtemps encore à la tentation des délicieuses pâtisseries qui dégageaient d'incroyables  odeurs. Elle regarda son téléphone ; seize heures moins le quart, il lui restait encore un  interminable quart d'heure d'attente si ce n'est plus car elle ne savait pas si son amie  serait en retard. Dehors il neigeait de gros flocons. La neige recouvrait absolument tout,  de l'horrible statue qui datait sûrement de plus d'un siècle jusqu'à la moindre branche des  imposants arbres qui ne devaient pas être très jeunes non-plus. Les flocons  tourbillonnaient dans tous les sens avant de se poser sur leurs prédécesseurs. Il devait  faire un froid polaire dehors, Charline était bien heureuse d'être à l'intérieur. Le café était  bien chauffé et, à cette heure, il n'y avait que très peu de clients ce qui faisait que la porte  restait fermée laissant l'entier de la chaleur à l’intérieur. Charline reporta son attention sur  son téléphone. Elle venait de recevoir un message de Mia lui indiquant qu'elle aurait  sûrement un peu de retard. Ça ne l'étonna pas ; Mia n'arrivait jamais à l'heure... Elle  repartit dans ses pensées. 

Charline et Mia s'étaient rencontrées quand elles avaient à peine cinq-six ans. Elles  étaient dans la même classe, mais elles n'étaient pas vraiment proches. Un jour, Mia  demanda à Charline un crayon et cette dernière, avec son habituelle gentillesse, lui prêta  son crayon préféré. Mia appuya un peu trop et le crayon se cassa en deux. L'histoire  aurait simplement pu s'arrêter là mais Mia avait trop d’égo pour s'excuser, elle préféra  donc se moquer du crayon ce qui fit, bien sûr, rire tous leurs camarades. Charline, blessée  en déduisit alors qu'être gentille ne lui apporterait absolument rien dans la vie, que de  toute manière sa gentillesse ne comptait pas pour les autres. 

Allez savoir pourquoi, Charline continua à penser ça pendant des années encore, comme  une rancune tenace contre tous ceux qui lui avaient répété qu'il fallait être gentille depuis  sa plus tendre enfance. Elle ne reparla plus à Mia qui, de toute manière, partit dans une  autre école. Pendant des années, sans être pour autant méchante, elle ne fit rien de  particulièrement gentil et désintéressé... Et puis, dix ans après, arriva le jour qui changea  sa vision de la gentillesse. 

Ce jour-là, Charline s'était levée de très mauvaise humeur mais avec, comme consolation,  la perspective d'un après-midi de congé. La matinée de cours avait cependant paru durer  des années. Heureusement, midi était enfin arrivé. Avant d'aller manger avec ses amies  au fast-food du coin, elle devait passer chez elle. La jeune fille n'habitait pas très loin. Elle  décida, pour une fois, d'y aller à pied et non avec le bus. Elle se mit en route, passa la  gare, un premier pâté de maison puis s'engagea dans une rue piétonne. Ce n'était pas le  chemin le plus court mais elle adorait les vitrines des magasins de cette rue. En ce  moment, les vitrines arboraient toutes sortes de décorations pour Halloween. La rue s'était  vêtue d'orange et de violet, de sorcières et de citrouilles. Cependant Charline continua son  chemin sans s'arrêter. Alors qu'elle passait devant le parc, elle aperçut quelqu'un en train  de pleurer. Elle hésita un moment, d’un côté, elle avait envie d’aider mais, de l’autre, elle  se disait que ça ne servirait à rien. Cependant, elle se rendit compte qu'elle observait la  personne depuis trop longtemps pour pouvoir faire semblant qu'elle ne l'avait pas vue. Elle  s'approcha donc du banc et lui demanda si ça allait. Cette dernière releva alors la tête.  D'abord Charline fut surprise de l'âge de la fille qu'elle avait devant elle ; elle avait pensé que c'était une personne âgée mais devant elle se tenait une fille de son âge... Cependant, 

après un court instant, elle reconnut Mia. Son instinct lui cria alors de partir dans l'autre  sens mais Mia semblait déjà l'avoir reconnue et elle ne pouvait tout de même pas partir  comme ça. Elle chercha rapidement une excuse mais aucune ne lui vint en tête. Elle  demanda donc à Mia pourquoi elle pleurait. Mia lui expliqua qu'elle avait laissé tomber son  sac à dos dans la marre du parc. Charline ne trouva alors rien d'autre à dire que de  proposer son aide. 

Les deux filles se dirigèrent alors vers l'étendue d'eau. Ce n'était pas encore l'hiver mais il  faisait déjà froid, de plus, il y avait du vent, beaucoup de vent. Les arbres se pliaient en  deux. Les quelques feuilles qui étaient encore accrochées aux branches s'envolaient et  c'était à peine si les poubelles ne faisaient pas de même. Elles ne pouvaient donc pas se  permettre de plonger dans l'eau sans risquer une hypothermie. Elles distinguaient très  clairement le sac violet de Mia qui flottait. Il était de petite taille mais Mia avait réussi à lui  accrocher un nombre absolument incroyable de pompons de toutes les couleurs et de  toute les tailles. Il n'était pas si loin que ça mais tout de même à deux ou trois mètres. Il  n'aurait d'ailleurs sûrement pas pu être beaucoup plus loin ; l'étang était vraiment  minuscule. Il ressemblait plus à une flaque qu'à un étang mais il était en réalité très  profond. On pouvait le deviner au fait qu'on ne voyait pas son fond malgré la clarté de  l'eau. D'ailleurs, la couleur bleu clair de la gouille étonnait souvent les gens. Charline  proposa alors d'essayer de trouver un bâton mais, elles eurent beau chercher, elles ne  trouvèrent rien d'assez grand pour atteindre le sac. 

Charline, qui ne voyait pas d'autre solution et qui allait être en retard, décida de s'en aller.  Elle souhaita bonne chance à Mia et partit. Mais, à peine avait-elle fait quatre pas, qu'elle  entendit un énorme « plouf ! ». Elle se retourna donc pour voir ce qui avait causé un tel  bruit mais il n'y avait plus personne sur la berge... Prise alors d'un terrible doute, elle  courut jusqu'à l'eau pour voir Mia en sortir avec son sac. Ses habits étaient absolument  trempés, ses cheveux roux dégoulinaient sur ses petites épaules et elle claquait  frénétiquement des dents. Heureusement pour elle, Mia était plutôt résistante au froid  mais elle ne pouvait pas rester encore trop longtemps dehors. Charline proposa donc à  Mia d'appeler quelqu'un qui pourrait la ramener jusque chez elle en voiture mais tous ceux  qui aurait pu le faire étaient actuellement au travail ou beaucoup trop loin. Les lèvres de  Mia commençaient cependant à devenir totalement bleues. Charline se mit alors vraiment  à stresser. Comme elle habitait dans le quartier, elle lui proposa d'aller chez elle le temps  de se réchauffer. Mia accepta, elles se mirent donc en route sans attendre. 

La maison de Charline était blanche, elle avait plusieurs fenêtres avec des volets bleus.  Sur le côté, on pouvait apercevoir une grande baie vitrée. A l'intérieur, tout était en bois.  La décoration était sobre. Il n’y avait que quelques petits tableaux accrochés aux murs.  Les parents de Charline étaient tous les deux au travail la maison était donc silencieuse.  Les filles se dirigèrent directement vers le salon. Au milieu d'un des murs trônait une  cheminée. Charline alluma un feu, prêta à Mia un linge, des habits chauds et secs puis lui  indiqua les toilettes pour qu'elle puisse se changer. Elle prépara alors du chocolat chaud.  Lorsque Mia se fut changée, elles s'assirent sur le canapé du salon. Il y eut d'abord un  long silence gêné entrecoupé uniquement par les crépitements du feu. Puis, Mia décida  de prendre la parole : « merci. 

– C'est normal, lui répondit Charline. 

– Non, c'est vraiment gentil de ta part. » 

Pour la première fois depuis un bon moment, sa gentillesse semblait compter pour  quelqu'un. Touchée, elle ne sut que répondre alors elle changea rapidement de sujet.  Elles parlèrent de tout et de rien tandis que Mia se réchauffait lentement. Elles discutèrent  de leurs vies, de leurs envies, de leurs projets, et de tout plein d'autres choses encore. Mia 

allait dans un gymnase à l'autre bout de la ville. Elle avait deux grands frères avec  lesquels elle s'entendait plutôt bien. Elle voulait devenir avocate. Charline, elle, était fille  unique mais elle avait un chat ; Filou. Elle voulait enseigner le français à l'étranger, de  préférence dans un pays anglophone. C'était un rêve qu'elle avait depuis toute petite et  elle aurait pu en parler pendant des heures. 

Elles devinrent amies et Charline se remit à être gentille. Elle avait appris que, même si  les gens ne le disaient pas toujours, la gentillesse comptait pour eux. Elles passèrent les  deux années suivantes presque tout le temps ensemble. Puis, Charline partit en  Angleterre pour y devenir prof de français. 

Charline se plaisait beaucoup en Angleterre où elle vivait son plus grand rêve. Cependant,  Mia lui manquait. Les deux filles se parlaient certes régulièrement au téléphone mais  c'était quand même très différent de la réalité. Charline se rappelait souvent avec  amertume tous les beaux moments qu’elles avaient passés ensembles. Charline ne put  revenir en Suisse, lors de ses trois années d'études, qu'une petite semaine pendant l'été.  Les deux premières fois, elles passèrent l'entier de la semaine ensemble. Mais, un mois  après les deuxièmes vacances, Mia rencontra un garçon dont elle tomba follement  amoureuse. Il sembla alors occuper absolument toute sa vie, remplaçant sa famille, ses  copains-copines et surtout Charline. Elles continuèrent malgré tout à s'appeler mais de  moins en moins et lors de sa semaine annuelle de vacance, Charline ne vit Mia que  pendant quelques heures. Charline commença à travailler en essayant d'oublier Mia qui  ne semblait plus vraiment s'intéresser à elle. Elles ne s'appelèrent plus qu'une fois par  mois. Bien qu'elle essayât de l'oublier, Charline se faisait beaucoup de soucis pour son  amie qui semblait être totalement hypnotisée par son petit copain. De plus, Mia lui  manquait vraiment terriblement. Il ne se passait pas un seul jour sans qu'un détail souvent  infime de sa vie ne la lui rappelle. C'était comme une malédiction. Les bons souvenirs  qu'elle avait avec Mia la hantaient jours et nuits. Parfois, elle s'imaginait faire une activité  avec son amie et, pendant un court instant, elle oubliait tout le reste. Malheureusement, la  triste vérité la rattrapait toujours lui créant une terrible boule au ventre. Elle se remit à  penser que la gentillesse ne comptait pas dans ce monde. Pourtant, elle vivait son plus  grand rêve et elle s'était faite d'autres amis amies incroyablement gentil(le)s. 

Comme elle n'arrivait pas à être heureuse, elle se décida à rentrer une semaine en Suisse  pour essayer de désamorcer la situation. Elle donna donc rendez-vous à Mia dans le  « café de la gare ». 

Elle attendait depuis plus d'une heure. Elle venait de craquer pour un muffin avec des  pépites de chocolat et un glaçage blanc. Elle se rappelait la première fois où elles étaient  venues dans ce café et où Mia avait pris un muffin. Ça ne fit qu'augmenter son stress. Elle  finissait sa première bouchée lorsque Mia entra. Charline fut tout de suite choquée par les  énormes cernes de cette dernière. Elle arborait un chemisier violet et un jeans bleu foncé.  Elle s'excusa du retard et s'assit. S'en suivit un silence gêné. Le même que des années  plus tôt au coin du feu chez Charline. Mais, sans la chaleur du feu il parut aux deux  beaucoup plus froid. Enfin, c'est surtout ce qu'elles se dirent pour se rassurer, pour ne pas  penser à tout ce qui se cachait sous ce silence. Enfin c'était une tentative vaine car elles  étaient justement là pour en parler. 

Charline hésita encore un instant, elle s’apprêtait à lancer une bombe et elle en était tout à  fait consciente. « Il faut que je te dise quelque chose. 

– Oui ? répondit Mia avec une voix qui trahissait son appréhension. – Charline inspira avant de se lancer : il y a un an, quand tu m'as annoncé que tu 

étais en couple, je me suis d'abord dit que c'était bien, que tout ce que je voulais  c'était ton bonheur mais je mentais. J'ai commencé à le comprendre il n'y a pas si  longtemps en fait. Mia je voulais te dire que je...Charline essaya de se calmer mais  son cœur battait la chamade, je t'aime et pas juste comme une amie, je...je... 

– Moi aussi. » 

Charline releva la tête. Elle n'avait d'ailleurs même pas conscience de l'avoir baissée. Son  cœur se mit à battre encore plus vite sans qu'elle ne pût expliquer comment c'était  possible. « J'ai quitté David il y plus d'un mois déjà, continua alors Mia, mais je n’avais ni  la force de t'avouer mes sentiments ni celle de faire semblant que tout était normal alors je  ne t'ai rien dit. 

– Mais, tu le sais depuis quand, pourquoi tu t'es éloignée au départ et attends, David,  tu l’aimais ou pas ??Charline était totalement perdue. 

– Je le sais depuis des années je crois mais je ne voulais pas me l'avouer à moi même. J'ai vraiment cru que j'aimais David mais, finalement, je me suis rendu  compte qu'il n'était qu'un moyen de fuir mes véritables sentiments et c'est pour la  même raison que je me suis éloignée de toi. » 

Charline en eut le souffle coupé. Elle était maintenant tiraillée entre la colère, la tristesse  et la joie. « Je suis vraiment désolée Charline j'ai été égoïste. J'ai toujours été nulle pour  penser aux autres et j'ai paniqué, j'ai eu peur de l'avis des autres et j'en ai oublié ce qui  compte vraiment. Je sais que ça n'excuse rien mais je te promets que je ne te ferai plus  jamais de coup du genre. » Elles avaient toutes les deux les larmes aux yeux. 

Charline eut encore un court instant d'hésitation. Mia n'avait clairement pas été gentille  mais n'était-il pas toujours le temps de le devenir ? Alors, elle se pencha et embrassa Mia. 

Fin

la Vaudoise Léna Krüzsely